janvier 2013
« Pourtant j’ai une grosse machine, une très grosse machine… »
Igor. Récital.
Qui eût cru, il y a trois ans ou presque, que l’Usine aujourd’hui serait ce qu’elle est ?
Qui aurait pensé qu’elle survivrait à son déménagement, qu’elle s’accommoderait de sa peau neuve, de sa toute fraîche reconnaissance, de ce bâtiment qu’on ferait sortir de terre pour elle ?
Qui se serait imaginé qu’un jour, enfin, pourraient cohabiter les intérêts particuliers des structures, utilisateurs et compagnies, et ceux de l’Usine en tant que lieu de fabrique, de recherche ou de diffusion ?
Franchement, pas moi.
J’avoue qu’entre-temps j’ai quitté le navire. Entre atermoiements affectifs, fatigue du collectif, besoin des ciels de Loire, dégoût pour les bardages de la Zone Pahin, j’ai préféré partir.
Mettre fin à un cycle. Presque dix ans, c’est bien assez.
Et puis je reviens souvent. La dernière fois, c’était fin octobre, pour faire visiter les lieux, avec Tablantec, à la délégation culture du Parti Socialiste lors de son congrès toulousain. Ils ont a-do-ré.
Parmi la multitude d’images qui me reviennent quand j’essaie de réfléchir à ce qu’est devenu l’Usine, je me souviens d’Ethnographiques, une des performances du GdRA.
Il s’agissait de mettre en scène des textes d’auteurs de la région ayant séjourné à l’Usine. Les pauvres avaient été lâchés en plein hiver, quelques jours seulement – comment écrire sur l’Usine en quelques jours ? – dans les murs en béton lissé du tout nouveau lieu.
Nous y errions alors (j’y habitais encore), comme à la recherche d’une âme oubliée entre la Ramée et le Canal de Saint-Martory, dans une maison pas encore assez salie, patinée, pétrie de notre histoire. Pas encore à nous.
Les textes qu’avaient produits les auteurs racontaient ce désarroi – le leur surtout. Le seul qui semblait l’avoir bien vécu n’avait pas écrit une ligne. Il avait traversé, en revanche, un certain nombre d’apéros. Il y a peut-être une façon d’arriver à l’Usine ; il y a sans doute aussi des moments plus propices que d’autres pour y faire son entrée.
Pour ce spectacle, nous avions fait de Bertrand la figure de Vendredi, et du regard lointain des écrivains celle d’un Robinson perdu sur une île lointaine, et dont il ne comprend ni les codes, ni les enjeux. On ne peut pas dire que les auteurs aient goûté la métaphore.
Nous avons joué dans la grande halle, et malgré une acoustique plus propice aux barrissements fantasmés d’un éléphant disparu qu’à la scansion et à l’écoute d’un texte bavard et dense – entrecoupé, dieu merci, des danses de Julien et des chants de Christophe – nous avions eu énormément de plaisir, moi peut-être plus encore, à clamer, en tendresse et empathie, notre soutien à Vendredi.
Je me souviens de Marc ému aux larmes, de Yo reconnaissant, et d’autres encore nous remerciant d’avoir bien voulu prendre parti.
Finalement, ce moment marqua symboliquement pour moi une double réussite du lieu.
Celle, tout d’abord, d’une transition entre deux systèmes, entre deux moments de l’histoire de l’Usine : le passage d’un fonctionnement de « syndic », réunion de structures et de compagnies, fortes d’une histoire commune, mais animées de leurs propres logiques, esthétiques, besoins, rythmes, objectifs et intentions, et peinant, de fait, à penser l’Usine comme une entité propre et autonome, à celui d’un lieu hébergeant ces différences et en accueillant de nouvelles, mais dont la direction, en outre, d’un projet et d’une mission d’écriture, d’imprégnation, de diffusion territoriales est reconnue, acceptée, assumée, partagée et portée par chacun de ses membres, et devient ainsi enfin… légitime.
Celle, ensuite, de la possibilité mise en pratique d’accueillir dans ce temple autant d’esthétiques, de croyances, de courants, de tentatives et de couleurs qu’en compte aujourd’hui l’art dans l’espace public – terme, j’en conviens, qu’il reste à définir, mais une autre fois.
Oui, j’ai le sentiment d’un lieu moins clivé aujourd’hui qu’il ne le fût hier, d’un groupe plus ouvert, d’un espace, vaste, où se croisent simplement et en paix danseurs d’abribus et C.A.P chaudronnerie, supporters des frères Young et fans des sœurs Goadec, penseurs gigantesques de l’espace public et fomenteurs intimes de paroles susurrées, performeurs intellos et bonimenteurs de pavé, siroteurs de tisane et buveurs de pastis…
C’est, je crois, le fruit du travail de l’équipe de l’Usine – je ne les flatte pas, je les connais bien, et connais leurs défauts.
C’est aussi, naturellement, l’histoire en train de s’écrire, d’un groupe qui évolue, se questionne, se tolère et se supporte… finalement.
Alors voilà, bloavez mad à toutes et tous, membres, utilisateurs, adhérents, visiteurs, acteurs, techniciens et auteurs en résidence, et tout de bon pour cette nouvelle année.
Sébastien Barrier
janvier 2013